La peinture, la sculpture sont des arts muets : agissant sans se nommer. Pour qu'ils soient vraiment entendus par le spectateur, le public, il faut une intervention qui les fassent parler.
Le travail de théoricien transforme ce qui est en eux en puissance, en un pouvoir direct, dirigeable, manipulable, en brique de la culture.
Oui, la théorie aujourd'hui, comme toujours, est nécessaire. Pour le meilleur et pour le pire. Sous son meilleur aspect elle éclaire, initie, se fait lien, rend accessible. Elles est un phare.
Quelques exemples seulement. Les oeuvres des théoriciens – artistes du Bauhaus. Les manifestes surréalistes d'André Breton. « Lascaux », sur l'art et la préhistoire, de Georges bataille. « Le système de Matisse », « De la peinture moderne « , de Marcelin Pleynet. (Le premier qui, à la lumière de la psychanalyse freudienne, nous montre la génèse de notre époque, ses oeuvres, et les peintres eux-mêmes.)
La théorie peut ainsi créer un mouvement, un groupement d'artistes. Elle les stimule, les inspire, facilite une prise de conscience plus radicale. Simultanément, elle éveille, sensibilise le public, les amateurs d'art. Sous son pire aspect ? Voici une anecdote vraie:
Goethe, le grand écrivain, poète, savant, visitant le Musée des Thermes à Rome, se prosterne dans son enthousiasme pour l'art et la beauté antique, devant la plus hideuse copie romaine d'un énorme buste de Héra (devenu Junon). Grand génie de la littérature universelle, il faisait, concernant les arts plastiques, aveuglément confiance aux écrits du théoricien Winkelmann (J.J.W. 1717-1768 ; achéologue de formation, étudiant avec une méthode scientifique les monuments de l'Antiquité, et auteur d'une « Histoire de l'art chez les Anciens ».) Goethe se prosterne, abusé par le pouvoir de la théorie, lui faisant croire que la copie, peut être habile mais sans niveau artistique, est un chef- d'oeuvre antique. Si Goethe avait lu Malraux (il fallait attendre 150 ans encore), il serait allé dans le même musée s'incliner devant « La naissance d'Aphrodite », relief grec, original celui-là.
Mon propre cas est significatif aussi. Ce n'est pas l'armée rouge qui m'a fait fuir la Hongrie, mais le pouvoir et la théorie de Jdanov. Le réalisme socialiste. Plus précisément, la théorie qui prescrit même le style par lequel il faut servir l'idéologie. Le style imposé par Jdanov était le fils batard de l'école de Munich de la 2e partie du XIXe siècle. Lenbach, Menzel. Mais Courbet, point ! Le réalisme socialiste, dans sa version jdanovienne, n'est rien d'autre qu'un naturalisme tempéré, avec un idéal académique. Naufrage que les peintres d'Amérique du Sud : un Rivéra, un Orosco ont réussi pourtant à éviter. Leur réalisme social avait leur style propre, librement choisi. Rivéra, quoique inspiré de Giotto, traduidsait de façon convaincante la réalité des peuples d'Amérique latine du XXe siècle. Ces artistes servent une idéologie parce qu'ils y croient – comme Giotto lui-même.
Le travail de théoricien transforme ce qui est en eux en puissance, en un pouvoir direct, dirigeable, manipulable, en brique de la culture.
Oui, la théorie aujourd'hui, comme toujours, est nécessaire. Pour le meilleur et pour le pire. Sous son meilleur aspect elle éclaire, initie, se fait lien, rend accessible. Elles est un phare.
Quelques exemples seulement. Les oeuvres des théoriciens – artistes du Bauhaus. Les manifestes surréalistes d'André Breton. « Lascaux », sur l'art et la préhistoire, de Georges bataille. « Le système de Matisse », « De la peinture moderne « , de Marcelin Pleynet. (Le premier qui, à la lumière de la psychanalyse freudienne, nous montre la génèse de notre époque, ses oeuvres, et les peintres eux-mêmes.)
La théorie peut ainsi créer un mouvement, un groupement d'artistes. Elle les stimule, les inspire, facilite une prise de conscience plus radicale. Simultanément, elle éveille, sensibilise le public, les amateurs d'art. Sous son pire aspect ? Voici une anecdote vraie:
Goethe, le grand écrivain, poète, savant, visitant le Musée des Thermes à Rome, se prosterne dans son enthousiasme pour l'art et la beauté antique, devant la plus hideuse copie romaine d'un énorme buste de Héra (devenu Junon). Grand génie de la littérature universelle, il faisait, concernant les arts plastiques, aveuglément confiance aux écrits du théoricien Winkelmann (J.J.W. 1717-1768 ; achéologue de formation, étudiant avec une méthode scientifique les monuments de l'Antiquité, et auteur d'une « Histoire de l'art chez les Anciens ».) Goethe se prosterne, abusé par le pouvoir de la théorie, lui faisant croire que la copie, peut être habile mais sans niveau artistique, est un chef- d'oeuvre antique. Si Goethe avait lu Malraux (il fallait attendre 150 ans encore), il serait allé dans le même musée s'incliner devant « La naissance d'Aphrodite », relief grec, original celui-là.
Mon propre cas est significatif aussi. Ce n'est pas l'armée rouge qui m'a fait fuir la Hongrie, mais le pouvoir et la théorie de Jdanov. Le réalisme socialiste. Plus précisément, la théorie qui prescrit même le style par lequel il faut servir l'idéologie. Le style imposé par Jdanov était le fils batard de l'école de Munich de la 2e partie du XIXe siècle. Lenbach, Menzel. Mais Courbet, point ! Le réalisme socialiste, dans sa version jdanovienne, n'est rien d'autre qu'un naturalisme tempéré, avec un idéal académique. Naufrage que les peintres d'Amérique du Sud : un Rivéra, un Orosco ont réussi pourtant à éviter. Leur réalisme social avait leur style propre, librement choisi. Rivéra, quoique inspiré de Giotto, traduidsait de façon convaincante la réalité des peuples d'Amérique latine du XXe siècle. Ces artistes servent une idéologie parce qu'ils y croient – comme Giotto lui-même.
Peut-on oublier les autodafés nazis contre la littérature, les arts plastiques « décadents », « dégénérés » ? Nous voilà prévenus. Le théoricien, au-delà de son talent d'écrivain, de penseur, doit avoir la même sensibilité que le peintre sur son propre plan. Et il doit être libre de pouvoir écrire librement.
Certes, en s'approchant de l'aube du XXIe siècle, une nouvelle théorie doit naître (peut-être encore en gestation). Je le sens obscurément ; elle habite ma pratique, et je crois qu'elle préoccupe beaucoup d'autres peintres, artistes, ici et là, dans le monde. Il faut un théoricien capable de la penser, de la faire parler. Basée sur l'évidence que l'homme vient d'acquérir le pouvoir absolu de se détruire, de détruire la terre entière, au moment où il parvient au seuil de la porte, enfin ouverte – par lui-même – sur les espaces infinis.
Baudelaire avait-il pressenti cette menace quand il disait que l'art seul est capable de masquer le Néant ? Il l'a ressenti comme Néant métaphysique, comme Non-Etre-Absolu. Aujourd'hui ce néant nous guette, non comme entité de l'esprit, mais en tant que résultat de notre pouvoir créateur (du pouvoir de la théorie d'Einstein), matérialisé dans la force nucléaire.
L'art pour Baudelaire, cache encore le néant. C'est une fin en soi. : rempart fait de l'art pour l'art, de l'art absolu. En notre temps, pour nous, l'art ne masque plus rien. Le rempart est devenu traversable, traversé, non plus le but, mais moyen, chemin. Le Néant baudelairien que le poète de son siècle ont vécu par anticipation, une centaine d'années plus tard se montre nu, concret, connaissable : danger d'anéantissement réel.
Cest ce danger actualisé qui nous permet maintenant d'agir positivement. De se dresser contre, de le désamorcer. De refuser la force nucléaire en tant qu'instrument de mort et de se servir d'elle en tant qu'instrument de vie, inépuisable source d'énergie.
Cest ce danger actualisé qui nous permet maintenant d'agir positivement. De se dresser contre, de le désamorcer. De refuser la force nucléaire en tant qu'instrument de mort et de se servir d'elle en tant qu'instrument de vie, inépuisable source d'énergie.
Selon que l'homme empêche le cataclysme ou qu'il l'attende passivement, ou encore qu'il pousse le bouton pour le provoquer. En face, des résultats différents, il devra faire face, pour le meilleur ou pour le pire. Ainsi du pouvoir de la théorie.